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Les principaux objectifs de cette thèse consistaient à tirer parti de la morphologie du signal de PIC et de sa relation avec des monitorages parallèles (pression artérielle, vitesse du sang dans une artère cérébrale) pour caractériser deux propriétés biomécaniques du système cérébrospinal du patient admis en neuroréanimation. La première, désignée sous le nom de compliance cérébrale, corespond à la relation pression-volume existant au sein de la boîte crânienne. En pratique clinique, la connaissance de celle-ci est utile pour identifier les patients instables, à risque d'hypertension intracrânienne, pour ajuster les niveaux de sédation en conséquence.  La seconde propriété, appelée autorégulation cérébrale, désigne la capacité du patient à maintenir constant son débit sanguin cérébral en compensant les variations de pression de perfusion cérébrale par des mécanismes de vasoconstriction / vasodilatation. Le suivi de l'autorégulation cérébrale est particulièrement intéressant pour identifier un niveau de pression de perfusion cérébrale individualisé facilitant le maintien du débit sanguin cérébral. Les enseignements tirés des différentes contributions sont résumés ci-dessous avec les perspectives associées.

\section{Compliance cérébrale}
\subsection{Monitorage du ratio P2/P1}
La caractérisation de la compliance cérébrale peut être effectuée de manière indirecte à partir de la morphologie du signal de PIC univarié, de façon à suivre les variations en continu et d'éviter la lourdeur des protocoles de mesure directe. Le ratio P2/P1 peut être monitoré en temps réel, au lit du patient, à l'aide du pipeline d'analyse ICP-SWAn présenté au chapitre~\ref{SWAn}. La principale difficulté rencontrée réside dans l'absence de méthode de référence pour identifier les pics P1 - P2 - P3 sur le signal de PIC  à partir des mécanismes physiologiques sous-jacents. Ainsi, l'entraînement d'un système d'apprentissage supervisé ne peut se faire qu'à partir d'interprétations visuelles d'experts, sans qu'il ne soit possible de trancher en cas de désaccord. La proposition faite consiste à quantifier l'incertitude des valeurs retournées pour n'afficher que les résultats considérés comme fiables. La solution d'un signal de sortie discontinu présente l'avantage de traiter de la même manière des cas cliniques pour lesquels les pics P1-P2-P3 n'apparaissent pas du tout sur le signal de PIC, notamment en cas de craniectomie décompressive. Différentes améliorations pourraient être envisagées par la suite : 
\begin{itemize}
\item Combiner les annotations de différents annotateurs sur le le jeu de données d'entraînement pourrait permettre d'obtenir des modèles plus précis sur les incertitudes associées aux prédictions.
\item Les critères de calibration pourraient être améliorés, par exemple en utilisant les résultats des gradients intégrés à place de l'intervalle construit autour d'une fonction de perte asymétrique (\textit{pinball loss}).
\item Un signal auxiliaire (la PA par exemple) pourrait être utilisé pour aider à la localisation des pics P1-P2-P3. Cependant, l'ajout d'un signal d'entrée implique des difficultés pratiques : acquisition des différents signaux par un même moniteur, synchronisation des signaux.
\item Utiliser des modèles généralistes pré-entraînés puis fine-tunés sur des données de PIC reste une piste envisageable. Toutefois, la principale limite identifiée dans la conception d'ICP-SWAn réside dans l'annotation manuelle des données plus que dans les performances des modèles eux-mêmes, comme en attestent les différences de performances obtenues sur les deux jeux de données de test. De plus, le modèle retenu doit être suffisamment léger pour être intégré à un dispositif embarqué.
\end{itemize}
Globalement, les performances d'ICP-SWAn, bien que probablement améliorables, restent satisfaisantes. La principale priorité consiste maintenant à exploiter cette nouvelle possibilité de monitorer le ratio P2/P1 en conditions réelles pour mieux en cerner la pertinence clinique. En résumé, ICP-SWAn permet de quantifier une information clinique (c'est-à-dire la morphologie du signal de PIC) bien identifiée et utilisée qualitativement par le corps médical depuis les années 1980.

\subsection{Combinaison d'indices de compliance cérébrale}
Le protocole de l'étude EC2 présentée au chapitre~\ref{EC2} constitue un moyen efficace de confronter différents indices de compliance cérébrale bien identifiés dans la littérature à une application concrète de ce concept en pratique clinique. La combinaison de variables retenue inclut les composantes cardiaque, respiratoire et vasogénique du signal de PIC. L'étude met en avant l'intérêt des algorithmes de décomposition en modes, capables d'isoler les différents déterminants du signal de PIC tout en prenant en compte les non-stationnarités et les non-linéarités intrinsèques à ce monitorage. Une proposition d'amélioration consisterait à remplacer la décomposition en modes empiriques utilisée par un algorithme de filtrage itératif pour tirer profit de la théorie mathématique associée. Une telle modification nécessiterait toutefois de paramétrer finement l'algorithme de filtrage itératif pour limiter le nombre de modes à étudier. Une solution alternative serait de compresser l'information obtenue au moyen d'une analyse en composantes principales, celles-ci présentant également l'intérêt de garantir l'orthogonalité de la décomposition obtenue. Quoiqu'il en soit, l'indice de compliance cérébrale retenu se doit d'être facilement interprétable par le corps médical, quitte à quantifier la compliance cérébrale selon différentes dimensions (volume de réserve, élastance des artères cérébrales). Différents questionnements émergent également des résultats de l'étude EC2, avec en premier lieu, les modifications morphologiques du signal de PIC lors du changement de position. La constance de l'amplitude de la composante cardiaque (AMP) dans les deux positions ne trouve pas d'explication dans la littérature, alors que le volume de LCS déplacé dans la boîte crânienne devrait en provoquer une augmentation, d'après la relation exponentielle classique reliant volume et pression. De plus, l'âge semble être un déterminant essentiel de la morphologie des pulsations cardiaques. Les patients les plus âgés présentaient des formes de pulsations davantage identifiées comme pathologiques, plus triangulaires, avec un P2 supérieur à P1, sans pour autant présenter des états cliniques d'entrée plus dégradés.

\subsection{Compliance cérébrale et solution saline hypertonique}
L'étude présentée au chapitre~\ref{HTS} confirme certaines hypothèses de l'étude EC2 : les significations cliniques de l'AMP et du ratio P2/P1 ne sont pas strictement équivalentes. Tandis que l'AMP est quasi-exclusivement déterminée par le volume intracrânien, le P2/P1 (ou le PSI) est influencé à la fois par les réserves de volume et l'élastance des artères cérébrales, expliquant la tendance de cet indicateur à évoluer vers des valeurs propres à chaque patient. Ainsi, le niveau initial de PIC est un bon prédicteur des morphologiques du signal de PIC observées après injection de solution saline, dans la mesure où une PIC élevée implique nécessairement une réserve de volume épuisée. À l'inverse, le pouvoir prédictif du ratio P2/P1, ou de n'importe quel autre indicateur morphologique, sur la chute de PIC est bien moins élevé, car un ratio P2/P1 élevé peut aussi bien refléter une forte élastance des artères cérébrales qu'un volumes de réserve épuisé. Une perspective d'application du ratio P2/P1 serait d'étudier sa relation avec la PIC, de façon à quantifier ses deux déterminants, identifier les patients instables et à risque d'HTIC. Si ces résultats sont cohérents avec la littérature récente, une confirmation des conclusions sur une cohorte de plus grande ampleur reste toutefois nécessaires, seulement 10 patients ayant été inclus dans l'étude.

\section{Autorégulation cérébrale}
L'étude OptiMAP présentée au chapitre~\ref{OptiMAP} démontre tout l'intérêt d'effectuer une épreuve dynamique d'hypotension de manière prospective pour identifier la limite inférieure du plateau d'autorégulation (LLA). Ainsi, en ne considérant que le portrait de phase PPC / V\textsubscript{m}, une LLA a pu être déterminée environ dans deux tiers des cas en l'espace d'une demi-heure maximum. Toutefois, la manoeuvre reste largement dépendante de l'opérateur, de la cinétique et de la direction des changements induits sur la PPC (montée ou descente). Ainsi, la LLA obtenue gagne à être validée en suivant d'autres variables telles que l'indice de pulsatilité ou le déphasage entre les variations lentes de PPC et de V\textsubscript{m}. L'estimation d'un déphasage instantané à partir d'un décomposition en modes est pertinente dans le cas d'une épreuve d'hypotension, où les hypothèses de linéarité et de stationnarité de l'analyse de Fourier ne peuvent être respectées. Une perspective d'approfondissement serait de comparer le gain et le déphasage calculés au moyen de l'analyse de Fourier, d'une décomposition en modes et d'ondelettes sur des temps de monitorage long, en parallèle des indices de corrélation classique dans le domaine temporel. Par ailleurs, la chute de PPC provoquée lors des épreuves a également causé une baisse des ratios P2/P1 et F2/F1, ainsi que l'apparition progressive de l'encoche dicrote sur le signal de V\textsubscript{m} dans certains cas. Une explication possible serait le franchissement de la \textit{critical closing pressure}, valeur de PPC à partir de laquelle le différentiel de pression s'annule au sein de l'arbre vasculaire cérébral, causant un collapsus complet des artérioles. L'analyse morphologique du signal de PIC et/ou de V\textsubscript{m} permettrait alors de quantifier de manière plus détaillée les phénomènes se produisant à la limite inférieure du plateau d'autorégulation cérébrale, ainsi que les risques d'ischémie associés.